Dans cette interview réalisée par Matti Speaker Agency, je partage les enseignements majeurs de mes 25 années de carrière en Voile Olympique et la manière dont ils nourrissent aujourd’hui mes interventions auprès des entreprises : résilience, intelligence collective, prise de décision dans l’incertitude et performance durable.
Tu dis souvent “Partager, c’est gagner”. Comment cet état d’esprit a-t-il façonné à la fois ta carrière olympique et ton travail actuel avec les entreprises ?
Jonathan lobert :
En voile olympique, il n’y a qu’un seul athlète par pays sur la ligne de départ. Cela crée un paradoxe unique : pour atteindre les Jeux, j’ai dû m’entraîner avec des coéquipiers qui étaient aussi mes plus féroces rivaux. Nous nous poussions mutuellement chaque jour, sachant que seul l’un d’entre nous représenterait la France. Au début, je voyais le partage comme quelque chose de risqué : si je donnais trop, je craignais de perdre mon avantage.
Mais avec le temps, j’ai découvert quelque chose de fondamental : lorsque je partageais mes connaissances, mes sensations sur l’eau, même mes doutes, je ne devenais pas plus faible, je devenais plus fort. Parce qu’en retour, je recevais de nouvelles perspectives, des retours plus riches, et de l’innovation collective.
Cet état d’esprit m’a ouvert les portes de collaborations extraordinaires. J’ai travaillé main dans la main avec les ingénieurs de Dassault Systèmes sur le mât, et avec les techniciens de WB Sails sur les voiles. Ensemble, nous avons optimisé l’interaction extrêmement complexe entre le mât et la voile — un système où chaque millimètre d’ajustement peut changer énormément le ressenti et la performance du bateau. Seul, je n’aurais jamais pu atteindre cela.
Pour les leaders, la leçon est claire : dans les organisations, les silos et la compétition interne pour les ressources bloquent souvent le progrès. Mais lorsque les dirigeants encouragent une culture d’ouverture et de coopération — même avec des “rivaux internes” — ils libèrent une valeur exponentielle. Partager ne diminue pas la réussite individuelle ; cela la multiplie.
En regardant ton parcours olympique, quel a été le plus grand défi que tu as dû surmonter, et comment l’as-tu fait ?
Jonathan Lobert :
Le plus grand défi a été Rio 2016. Quatre ans plus tôt, à Londres 2012, j’avais gagné une médaille olympique. À Rio, j’étais un athlète bien plus fort et complet — physiquement, techniquement et mentalement. J’avais construit une équipe de classe mondiale autour de moi, structuré chaque détail de ma préparation, et j’étais même vice-champion du monde six mois avant les Jeux. Objectivement, j’étais prêt. Plus prêt que jamais.
Et pourtant, au moment où j’étais censé être à mon meilleur, j’ai terminé 14e. Mon pire résultat, au pire moment. Accepter cet écart entre la personne que j’étais devenue et le résultat que j’ai obtenu a été extrêmement difficile.
Avec du recul, deux enseignements clés sont ressortis :
D’abord, la performance ne repose pas uniquement sur le contrôle, mais aussi sur la liberté. À Rio, je portais la pression de devoir me prouver, et de vouloir récompenser tous ceux qui m’avaient soutenu. Ce poids m’a freiné. Depuis, j’ai compris que le plus haut niveau de performance arrive lorsque la préparation rencontre la capacité de lâcher prise, d’improviser, et de se faire confiance — soi-même et son équipe.
Ensuite, même si la médaille m’a échappé, rien n’a été perdu. Le parcours, la discipline, les innovations avec Dassault Systèmes et WB Sails, la résilience face à la blessure, l’engagement collectif… tout cela est resté. Ils sont devenus les fondations du titre européen et de la médaille mondiale que j’ai remportés peu après.
Pour les leaders, le parallèle est puissant : on peut avoir la meilleure équipe, le meilleur plan, être mieux préparé que jamais… et pourtant, parfois, le résultat ne vient pas. Mais si l’on sait capturer les apprentissages et garder sa liberté d’agir, l’expérience devient un tremplin plutôt qu’une impasse.
Passer du sport de haut niveau au speaking et au conseil en management est un changement majeur. Quelles compétences se sont transférées le plus naturellement, et lesquelles as-tu dû apprendre de zéro ?
Jonathan Lobert :
Ce qui s’est transféré le plus naturellement, ce sont les qualités forgées par 25 ans de voile de haut niveau : discipline, concentration sous pression, et capacité à prendre des décisions dans l’incertitude. En voile, les conditions changent chaque seconde — vent, vagues, concurrents. On n’a jamais toutes les informations, et pourtant il faut décider et s’engager. Cette façon de trouver de la clarté dans le chaos est directement applicable au leadership aujourd’hui.
Mais par-dessus tout, ma plus grande force a toujours été la curiosité. En tant qu’athlète, je posais constamment des questions : Comment aller plus vite ? Et si l’on changeait ce détail ? Que puis-je apprendre d’autres sports, d’autres cultures, d’autres technologies ? Cette curiosité m’a mené à travailler étroitement avec des profils et des compétences très variés — ingénieurs, voiliers, nutritionnistes, psychologues et partenaires d’entraînement du monde entier. Elle m’a permis de progresser au-delà de mes propres limites et de transformer l’innovation en avantage.
Lorsque j’ai fait la transition vers le monde de l’entreprise, la curiosité est restée ma boussole. Je voulais comprendre comment fonctionnent les organisations, comment les leaders prennent leurs décisions, et comment mon expérience pouvait leur être utile. C’est pourquoi j’ai choisi de retourner à l’école : j’ai obtenu un Executive Master à l’EM Lyon et une certification de coach professionnel à Paris-Dauphine. Je ne voulais pas simplement “raconter mon histoire” ; je voulais apprendre un nouveau langage et développer les bons outils pour accompagner les leaders dans leur réalité.
Aujourd’hui, ma singularité repose sur cette double posture :
D’un côté, l’expérience vécue d’un médaillé olympique, qui sait ce qu’il faut pour se préparer, s’adapter et performer au plus haut niveau.
De l’autre, l’apprenant curieux devenu coach et consultant, capable de relier les enseignements du sport à des stratégies business concrètes.
Dans l’environnement incertain actuel, la résilience est une qualité clé pour les dirigeants. Selon ton expérience, quelles stratégies concrètes peuvent aider les managers à renforcer la résilience chez eux et au sein de leurs équipes ?
Jonathan Lobert :
En voile olympique, l’incertitude n’est pas l’exception, c’est la règle. Le vent change, le courant évolue, et les concurrents s’adaptent en temps réel. Ce qui semble être le chemin le plus direct vers la ligne d’arrivée est rarement le meilleur. Pour réussir, il faut ajuster constamment sa trajectoire, parfois même prendre ce qui ressemble à un détour, pour se positionner au mieux sur le prochain changement de vent.
C’est cela, la résilience : ne pas s’accrocher obstinément à une ligne droite, mais avoir l’état d’esprit et la flexibilité qui permettent de transformer les risques en opportunités. Les dirigeants font face à la même réalité aujourd’hui : les plans se déroulent rarement comme prévu, et la résilience consiste à s’adapter rapidement sans perdre le cap.
Trois stratégies tirées de mon expérience se transposent directement au monde de l’entreprise :
La clarté de la vision.
En voile, ma référence constante était la médaille olympique.
En entreprise, c’est la vision de la société.
Lorsque les conditions changent, la clarté de la vision permet de garder l’élan, même quand le chemin n’est plus linéaire.
La récupération comme discipline.
Les athlètes alternent effort et repos pour rester performants.
Les dirigeants doivent faire la même chose avec leurs équipes.
La résilience ne consiste pas à endurer sans fin, mais à savoir quand faire une pause et se recharger, pour revenir plus fort.
La confiance et la sécurité psychologique.
Sur l’eau, je comptais sur mon entraîneur et mon équipe pour m’aider à ajuster ma stratégie entre les régates.
Dans les organisations, la résilience se développe lorsque les dirigeants créent des espaces où l’on peut partager ses doutes et proposer de nouvelles approches sans peur.
Et un dernier ingrédient : la passion.
Après la déception de Rio 2016, ce qui m’a aidé à me reconstruire, c’est de me reconnecter avec le plaisir de naviguer — cette étincelle simple qui donne du sens à l’effort.
Les dirigeants doivent aussi se souvenir que la passion n’est pas un “nice to have” ; c’est le carburant qui rend la résilience durable.
Le sport de haut niveau exige une prise de décision constante sous pression. Quels enseignements de la compétition sont, selon toi, les plus précieux pour les leaders confrontés à des défis complexes ?
Jonathan Lobert :
En voile, on n’a jamais une vision complète de la situation. Le vent tourne, le courant change, des nuages apparaissent, les concurrents adoptent des stratégies inattendues. Si l’on attend la certitude, il est déjà trop tard. La clé est d’utiliser l’information dont on dispose à l’instant T, prendre une décision, et mettre le bateau en mouvement.
Une fois que le bateau avance, de nouvelles informations apparaissent : comment le vent évolue, comment les concurrents réagissent, comment le bateau répond. Cela permet d’ajuster sa stratégie et d’optimiser la prochaine décision. Le progrès ne vient pas de trouver la réponse parfaite dès le départ, mais de s’engager dans la réalité, pas à pas, et d’affiner au fur et à mesure.
Pour les dirigeants, c’est exactement la même chose. Les défis complexes ne s’accompagnent presque jamais de données complètes. Attendre la “décision parfaite” conduit souvent à la paralysie. La leçon est la suivante : agir avec clarté sur la base de ce que l’on sait maintenant, puis s’adapter lorsque de nouvelles informations arrivent.
Deux enseignements issus de mon parcours olympique sont particulièrement pertinents pour les leaders :
La résilience par l’action.
Dans l’incertitude, beaucoup se figent, en attendant davantage de clarté.
Mais dans le sport comme en entreprise, c’est le mouvement qui apporte la clarté.
Agir, même avec des données incomplètes, crée de l’élan et ouvre de nouvelles perspectives.
La pire décision n’est pas une décision imparfaite… c’est l’immobilisme, qui peut faire couler le bateau.
Faire confiance à son intuition.
En tant qu’athlète, mon corps et mes instincts détectaient souvent les changements avant que je puisse les analyser entièrement. Avec le temps, j’ai appris à m’y fier.
En leadership, c’est pareil : la donnée est essentielle, mais l’intuition, façonnée par l’expérience et la vigilance, pointe souvent dans la bonne direction.
Les dirigeants qui osent suivre leurs convictions inspirent confiance et font avancer leurs équipes.
Au final, la prise de décision sous pression repose sur le mouvement, l’adaptation et l’apprentissage.
Les leaders qui considèrent leurs erreurs comme une nouvelle source d’information développent un état d’esprit capable de créer des organisations qui ne se figent pas dans l’incertitude, mais qui avancent, s’ajustent, et deviennent plus fortes à chaque étape.
“En voile comme en entreprise, vous n’avez pas besoin du plan parfait, vous avez besoin du courage de vous mettre en mouvement, et de l’agilité pour vous ajuster.”
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